Voyage à travers le Sahara occidental


Ce trajet de plus de 1.100 kilomètres permet de constater aussi les richesses touristiques et minières abandonnées mais également la mission sensible des unités de l’Armée nationale populaire pour sécuriser les frontières.
Le trajet de Tindouf vers la ville d’Aghouinit au Sahara occidental, près de la frontière mauritanienne, permet de découvrir l’immensité et surtout les merveilles de ce territoire. Ce trajet de plus de 1.100 kilomètres permet de constater aussi les richesses touristiques et minières abandonnées mais également la mission sensible des unités de l’Armée nationale populaire (ANP), pour sécuriser les frontières. Récit d’un voyage pas comme les autres. Jeudi 7h du matin. Départ du camp de Boujdour, à 50 km de Tindouf, vers la ville d’Aghouinit dans les territoires libérés du Sahara occidental, pour couvrir les manœuvres militaires organisées par le Front Polisario dans cette ville frontalière avec la Mauritanie. Pour y aller, il faut passer par un barrage mixte de l’ANP et des Douanes algériennes. Un laissez-passer est indispensable. Le chef du check-point et ses soldats armés vérifient tout : véhicules, personnes et marchandises. Les douaniers font de même. Jeunes en majorité, engagés et vigilants, ils contrôlent les papiers et les produits transportés.
Les frontières entre la Mauritanie et le Maroc sont fortement surveillées. Une grande affiche implantée à proximité de ce point de contrôle indique que le passage est autorisé de 7h à 19h. Les véhicules sont pour la plupart immatriculés au Sahara Occidental (SH). Le chauffeur nous explique qu’il transporte des voyageurs, réfugiés sahraouis, des commerçants pour la plupart. Certains se rendent en Mauritanie pour une visite familiale, d’autres pour commercer. Nous passons la frontière algérienne après identification. De loin, nous apercevons des militaires algériens, en patrouille pédestre, dans plusieurs points dans le désert au sud des frontières avec le Maroc.
« Les voyageurs sur ce trajet sont rassurés de la présence de l’Armée algérienne », explique le chauffeur du véhicule qui nous transportait, ajoutant que le dispositif sécuritaire a été renforcé ces derniers mois, notamment au niveau de la bande frontalière avec le Maroc. « La présence des unités de l’Armée algérienne est plus importante ces derniers mois. Il y a un redéploiement et un renforcement du contrôle , a-t-il constaté. La vigilance est de mise. « Elle est devenue une constante », nous ont confié des soldats de l’ANP, rencontrés sur place. Ils sont jeunes, originaires des différentes wilayas du pays, de Mostaganem, Tébessa, Annaba, Alger ; ils sont mobilisés pour la sécurisation des ces zones hautement sensibles. 
Ils sont conscients de la sensibilité de leur mission qui consiste essentiellement en la protection et la préservation de la sécurité et la stabilité du pays, a insisté leur chef, rencontré sur place. La guerre au Mali, la dégradation de la situation sécuritaire en Libye et en Tunisie, les risques d’infiltration de groupes terroristes et le trafic de drogue en provenance du Maroc, la menace réelle d’une reprise des armes au Sahara occidental occupé, mettent la région du Sahel sur une poudrière. Face à cette situation, l’ANP a pris ses devants : le vice-ministre de la Défense nationale, le chef d’état-major de l’ANP, le général du corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah, a présidé, le 2 décembre 2015, des manœuvres militaires à tirs réels au sud de la wilaya de Tindouf. L’objectif était de tester la « préparation au combat » des éléments de l’ANP. 



Le dispositif mis en place actualisé et adapté a donné ses fruits. Plusieurs coups de filet ont été réalisés par les détachements de l’ANP dans la région de Tindouf, dans le cadre de la lutte antiterroriste. En effet, un lot important d’armes de guerre a été saisi, à savoir un pistolet-mitrailleur de type kalachnikov, cinq fusils de chasse et quatre chargeurs de munitions garnis, selon le ministère de la Défense nationale (MDN). Dans la région de Hassi Khebbi, frontalière avec le Maroc , la vigilance des militaires a permis l’arrestation de deux Mauritaniens et trois Algériens, à bord de deux véhicules dont la destination était la Mauritanie. A la fouille des véhicules, les éléments de l’ANP sont tombés sur un véritable arsenal de guerre composé de 19 fusils automatiques de type kalachnikov, un lot de 13 RPG 7 et une importante quantité de munitions. L’ANP fait également face, dans cette zone frontalière, au crime transfrontalier. Selon une source sécuritaire, cette région est frontalière avec deux pays, à savoir le Maroc et la Mauritanie, ce qui a nécessité d’élever le degré de vigilance afin de déjouer les tentatives de transformer cette zone en lieu de transit stratégique de trafic d’armes et de drogue, notamment l’axe Nouakchott-Zouerate-Tindouf. En outre, cette région constitue également une zone extrêmement sensible du fait qu’elle est concernée par l’accord de cessez-le-feu conclu entre le Maroc et le Polisario le 12 octobre 1991 sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU). Notre guide, un réfugié sahraoui, a signalé que les sorties et entrées des réfugiés sahraouis sont contrôlées, juste par une simple démarche administrative mais il n’y avait jamais de restriction. 


« Nous pouvons aller où nous voulons. Nous circulons librement grâce à la présence des militaires algériens », a attesté un chauffeur d’un véhicule tout-terrain rencontré sur les lieux. En effet, les éléments de l’Armée algérienne sécurisent tous les accès menant de et vers les camps des réfugiés sahraouis à Tindouf, se félicitent des réfugiés. L’accès est minutieusement filtré. Des barrages fixes de l’armée sont implantés sur la route menant à Rabouni, la capitale de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd) ainsi que sur la route menant vers les frontières.


La wilaya de Tindouf abrite les institutions de la Rasd et cinq camps de réfugiés sahraouis disséminés à l’intérieur des terres et totalisant une population avoisinant les 160.000 personnes, selon le Polisario (90.000, selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés). « L’Armée algérienne assure la sécurité des réfugiés sahraouis et de leurs camps. Les Marocains visent la déstabilisation, l’infiltration et l’inondation des camps par de la drogue, notamment dans le milieu des jeunes. C’est la politique prônée par le royaume pour briser la jeunesse sahraouie et la détourner de sa cause. L’Armée algérienne a réussi à déjouer ces plans grâce à la vigilance des militaires qui mènent une lutte contre le crime transfrontalier », ont indiqué les chauffeurs Touali, Loud, Bendir et Abdellah qui nous accompagnaient. Dès que l’on quitte les frontières, le paysage change. Très vite, la végétation disparaît et laisse place à un désert de pierre. C’est le début du territoire du Sahara Occidental. De loin, on observe nettement un mur uniforme de sable et de pierre. « C’est le mur de la honte », a soufflé Touali. Impossible de s’approcher pour prendre des photos, le terrain est miné et hérissé de fil barbelé, a-t-il précisé. Nous avons emprunté une route goudronnée. Le chauffeur sahraoui, Amer Ali Touali, a précisé que ce sont les autorités algériennes qui ont procédé au revêtement de cette route reliant Tindouf à la Mauritanie. Il s’agit de la route reliant Tindouf à la ville mauritanienne Choum, un projet en cours de réalisation dans le cadre d’un accord signé conjointement par les deux pays. Il a été lancé en 2006. 


« Ce projet constitue un axe stratégique dans la consolidation des transsahariennes », a signalé une source officielle. Sur le plan sécuritaire, cette route facilitera particulièrement la circulation des services de sécurité chargés du contrôle et de la surveillance de cette région désertique et le contrôle des mouvements des groupes terroristes et criminels, a-t-on expliqué. Cette piste parfois sableuse est carrossable. Mais la fréquentation y est rare. En effet, nous n’avons croisé aucun véhicule sur notre parcours.


Des chauffeurs « GPS humains » 


Pendant deux heures, nous roulons sur une route goudronnée, puis notre véhicule s’engage sur une piste sablée sans panneau indicateur. Il faut dire que la route entre Tindouf et la ville frontalière Aghouinit qui abrite les manœuvres militaires est très longue. Elle se situe à 70 km des frontières mauritaniennes. Notre première halte était la ville sahraouie Tifariti, après plus 12 heures de trajet à bord de véhicules Toyota du GSH. La direction du protocole de la Rasd a mobilisé des chauffeurs, ex-combattants du Front du Polisario, pour le transport et l’accompagnement des délégations officielles vers les territoires libérés, vu leur expérience. L’un d’eux, Touali, originaire de Dekhla, est un « GPS humain » par excellence, en témoignent les membres de la délégation. Cet ex-soldat de l’Armée sahraouie, qui parle couramment l’espagnol, était le chef de la mission. 


Il conduisait sans GPS, parcourant des milliers de pistes dans l’immensité du désert, sans plaque ou panneau de signalisation, coupés du monde durant le long du trajet. Pas de contact téléphonique, à l’exception de rares rencontres avec des nomades habitant dans des tentes traditionnelles « kheïmas » avec leurs troupeaux ou des lézards du désert. Touali était soldat dans l’armée du Polisario. Il avait participé à plusieurs opérations militaires contre l’armée marocaine. Il se félicite d’avoir rencontré le défunt président algérien Houari Boumediène. « J’avais à peine 7 ans quand il nous a rendu visite à Chlef où je passais avec des enfants sahraouis les vacances d’été. Je l’ai rencontré plus tard, alors jeune. C’est mon idole, un grand homme », a-t-il raconté avec fierté. Touali n’est pas un « guerrier du désert » par excellence, mais un maître du volant. 


« Il connaît très bien le désert et aucune délégation n’est perdue dans ce grand désert grâce à lui », témoignent ses collègues. « J’ai eu plusieurs propositions de la part de l’organisation terroriste Aqmi pour la rejoindre. Ils m’ont promis un véhicule tout-terrain, un téléphone Thuraya et une bonne prime pour transporter une marchandise vers une destination précise. J’ai fortement refusé car je ne peux pas nuire à ma propre terre, ni à mon cher pays qu’est l’Algérie », a-t-il confié. 
Nous arrivons à Tifariti vers 18h. Une carcasse d’un bombardier marocain abattu par les militaires sahraouis est exposée sur un mont ainsi qu’une grande mine, un musée ouvert dans la nature. Pour les réfugiés sahraouis, Tifariti est considérée comme la plus belle ville du Sahara occidental. Des projets pour la construction des infrastructures de base sont lancés dont un hôpital et une école, un Parlement, un complexe sportif ainsi que des logements. Pour les responsables sahraouis, le repeuplement de Tifariti est un défi. Nous passons la nuit au siège de la 2e Région militaire. Une caserne composée de petites chambres, une douche commune et un salon qui sert de salle à manger. Un char est immobilisé à l’intérieur. Des soldats veillent à la sécurité des lieux. Ils ont la certitude de gagner la guerre même si leur armée est moins puissante que celle de l’occupant.


Attention aux mines !


Vendredi. Vers 6h30, nous reprenons la route pour parcourir les 500 km qui nous séparent de la frontière mauritanienne. La route est à nouveau quasi déserte avec une alternance de regs isolés. Nous empruntons le chemin vers Aghouinit, une localité du Sahara occidental, située à proximité de la frontière sud-est du Sahara occidental avec la Mauritanie. Elle abrite une base de la Minurso en passant par la ville de Mijek. Sur ce trajet, s’étend l’immensité du sahara mauritanien, marginalisé, parcouru par des milliers de pistes. Le chauffeur nous explique : « On a l’autorisation de passage du territoire mauritanien. » Avant de nous avertir : « Attention, ce circuit est toujours truffé de mines ! » La délégation a dû suivre attentivement les pistes. Une halte dans la zone de Zaâzayat, située à 13 kilomètres au nord-ouest de Mijek, où des tombes attirent notre attention. 
« C’est des soldats sahraouis martyrs enterrés dans ces lieux. Ils sont morts dans des accrochages et des bombardements », a expliqué Touali. Après plus de 480 km et un bon nombre de secousses, nous arrivons à Aghouinit, ville en plein milieu du désert, à des kilomètres seulement de la Mauritanie. Nous avons traversé le Sahara occidental, environ 1.200 km de sable, de désert rocailleux et de quelques dunes. C’est assez impressionnant : nous n’espérions pas traverser le désert aussi rapidement. Tout au long de ce trajet, Touali n’a cessé de parler des ressources halieutiques et des minerais dont le sous-sol du Sahara occidental regorge. Il évoque le fer, le zinc et le phosphate. « Nous avons un pays riche. Il peut être une destination touristique par excellence », a-t-il dit avec amertume. Les paysages sur ce parcours sont à couper le souffle avec des montagnes qui alternent avec sable, dunes et rochers dans un désert immense, vide et lointain. Il n’y a ici ni village, ni véhicule, ni rien. Il n’y a plus rien sauf le silence. On arrive enfin aux territoires libérés du Sahara occidental où se sont déroulées les manœuvres militaires.
L’indépendance n’a pas de prix 
Le chemin du retour était plus apprécié par les membres de la délégation qui ont tenu à mémoriser leur passage dans ce grand désert. Sur un trajet de 1.000 km, on n’a rencontré aucune patrouille militaire dans cet espace ouvert.Ce n’est qu’à quelques kilomètres de la frontière qu’on a aperçu finalement les militaires algériens, seuls sur le terrain, toujours mobilisés sur ce tracé frontalier. L’indépendance n’a pas de prix, la paix et la sécurité aussi..
N. B.

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