LA COUR DEVIENT UNE BASSE-COUR

Au début du règne de Mohammed VI, le holding royal ONA, dont le monarque et sa famille possèdent des titres, va mal. Très mal, même. Un an plus tôt, en 1999, il a dû emprunter 500 millions de dirhams (50 millions d’euros) aux banques pour repousser un magnat de la finance, Othman Benjelloun, qui venait de lancer un raid boursier sur la SNI, un autre holding royal1. Puis, dans les deux ans qui suivent, l’ONA pâtit de la stratégie désastreuse de Mourad Chérif, qui y sévit comme P-DG de 1999 à 2002.
Surnommé « Mourad II » par ses employés en référence au calife ottoman Mourad Ier, Chérif est atteint d’un sévère syndrome d’autosuffisance et reproduit à volonté les compor­tements du Makhzen : obséquieux avec les puissants, odieux avec les faibles. C’est ainsi qu’il fait volontiers patienter deux heures durant les administrateurs de Danone, pourtant associés de longue date de l’ONA au sein de la Centrale laitière. Mais le plus grave n’est pas là. Mourad Chérif se pique d’avoir une vision d’entreprise pour le groupe qu’il dirige.
Afin de ne pas rater le train de la mondialisation, dit-il,
1. Ali Amar et Fedoua Tounassi, « La alaouisation de l’économie », Le Journal hebdomadaire, 7 au 13 octobre 2006.
2. Nicolas Beau et Catherine Graciet, op. cit.64 Le Roi prédateur
celui-ci doit à tout prix conclure des partenariats privilégiés avec de grands groupes mondiaux. Les alliances conclues sous Hassan II avec le cimentier Lafarge et Danone ont été fructueuses. Mourad Chérif se tourne donc vers la France, le plus fidèle allié du royaume alaouite, et décide que les groupes français seront systématiquement privilégiés. Ce réflexe n’est pas rare chez les « makhzéniens » de choc qui ont fait leurs études en France ou entretiennent des liens étroits avec l’ancienne puissance coloniale.
Cette stratégie consistant à accorder la priorité à la France a été inaugurée par le conseiller d’Hassan II André Azoulay, qui l’a appliquée au profit du groupe hôtelier Accor, ou encore de Publicis. Mourad Chérif n’innove donc pas en cette matière, mais se montre particulièrement zélé à défendre les intérêts français au Maroc.
Il se hâte d’abord de vendre au groupe d’assurances Axa l’un des fleurons de l’ONA, l’Africaine d’assurance, dans des conditions rocambolesques : il commence par marchander un statut d’actionnaire minoritaire pour l’ONA, avant de céder l’ensemble à un prix que les experts considèrent comme bien inférieur à ce qu’il aurait dû être.
Dans le même registre, l’ONA vend une dizaine d’hyper­marchés Marjane au groupe Auchan, pour un prix qui sera à nouveau jugé bien trop bas. En parallèle, le patron de l’ONA se lance dans une série d’acquisitions hasardeuses : la petite biscuiterie Bimo, pour laquelle le holding royal débourse 440 millions de dirhams, la reprise au prix fort d’une PME spécialisée dans les gaufrettes et les cacahuètes 1… Les résultats ne se font pas attendre. En 2001, le cours de Bourse de l’ONA
1. Ibid.65 La Cour devient une base - cour
chute de 40 % et le holding plie sous un endettement record. Mourad Chérif ne sera démis de ses fonctions qu’en 2002.
Pour assombrir encore ce début de nouveau règne, le Palais entretient des relations tendues avec le patronat marocain, pourtant réputé, à quelques exceptions près, pour sa docilité. Les chefs d’entreprise n’investiraient pas assez au royaume. « On était dans l’impasse, reconnaît ce consultant qui a travaillé à débloquer la situation pour le compte des autorités maro­caines. Mais il faut aussi comprendre les patrons. Au cours de ces dernières années, l’État avait cumulé de très lourds arriérés de paiement auprès des entreprises. Au point que certaines d’entre elles étaient à sec 1. » Compte tenu de l’urgence, l’argent public est débloqué aussi vite que possible, et le miracle sur­vient : les patrons commencent à rapatrier au Maroc l’argent qu’ils avaient placé à l’étranger. « La Suisse était alors tempo­rairement devenue le second plus gros investisseur étranger du royaume », ironise le consultant.
Une grève de l’investissement inventée de toutes pièces 
Les hommes du roi, notamment Fouad Ali El Himma, ministre délégué à l’Intérieur, et Mounir Majidi, secrétaire particulier de Sa Majesté, instrumentalisent cette supposée jacquerie patronale comme une aubaine. Pour mieux faire rentrer les chefs d’entreprise dans le rang, ils exploitent à loisir un argument mensonger : les patrons ont tenté de faire la grève de l’investissement car ils ne croyaient pas au nouveau roi. « C’est faux ! proteste l’un d’eux. Notre attentisme s’expliquait
1. Entretien avec l’un des auteurs, Paris, octobre 2011.66 Le Roi prédateur
par une conjoncture économique médiocre où les perspectives de rentabilité étaient perçues comme faibles. Durant ces années, il n’y a jamais eu de grève de l’investissement 1. »
Cette manipulation n’est pas le fruit du hasard. Au début du règne de Mohammed VI, de grandes manoeuvres se préparent en coulisse pour mettre la main sur la gestion de la fortune royale. Mohammed VI ne cache pas à son entourage qu’il en fera une de ses priorités, et y être associé est un moyen efficace de s’attirer les faveurs du sultan. Dès le mois de mars 2000, le roi nomme Driss Jettou à la tête de l’ONA. Le choix de cet homme lisse et discret, que le ministre de l’Intérieur d’Hassan II, Driss Basri, se vantait d’avoir découvert en 1995, n’est pas dénué de pertinence.
Contrairement aux jeunes quadras surdiplômés et arrogants qui évoluent autour de Mounir Majidi, Jettou n’est ni poly­technicien ni centralien. Il a mené sa carrière de chef d’entre­prise dans la chaussure et cumule les fonctions politiques sans entretenir une réputation d’affairiste. Pas encore, en tout cas. Successivement ministre du Commerce et de l’Industrie puis ministre des Finances, Jettou est plutôt réputé compétent. Et, lorsqu’il devient « représentant officiel des intérêts de la famille royale au sein de l’ONA », c’est tout naturellement que la presse aux ordres le qualifie obséquieusement de « fidèle serviteur du trône alaouite ».
Plus terne que jamais, il s’attaque alors à sa mission : des­siner les contours de la nouvelle stratégie de l’ONA, qui doit marquer le nouveau règne. Objectif inavoué : faire gagner beaucoup d’argent au roi et à sa famille.
1. Entretien avec les auteurs, Casablanca, septembre 2011.
2. Abdellah Chankou, « Driss Jettou, la force de l’engagement »,MarocHebdo international, 31 mars 2000.67 La Cour devient une base - cour
La tâche s’annonce difficile. « Lorsque Jettou prend ses fonc­tions, il trouve les établissements royaux dans un piètre état, traversés de conflits sociaux, explique l’économiste marocain Fouad Abdelmoumni. Certains gérants ne payaient pas les salaires, et les forces de l’ordre intervenaient épisodiquement pour calmer les esprits. En dépit de ce climat pesant, il estime qu’il faut dissoudre les participations majoritaires ou trop voyantes de l’ONA et opter pour des participations minori­taires dans de nombreux secteurs 1. »
« Jettou estimait que l’ONA et donc le monarque ne devaient pas être des acteurs majeurs dans l’économie, mais que le holding royal devait se cantonner à être une société de participations », complète le patron marocain qui s’est exprimé plus haut.
Driss Jettou n’aura pas le temps de mettre en oeuvre sa stra­tégie. Un an plus tard, en 2001, il est brusquement nommé ministre de l’Intérieur. Les choix et les caprices du roi ne s’im­posent-ils pas à tous ? Mounir Majidi lui succède. Il pense avoir acquis les rudiments du métier de gestionnaire de la fortune royale au contact de Jettou.
Il est épaulé par un illustre inconnu, Hassan Bouhemou, qui, en 2001, a été nommé à la tête du holding royal Siger. Son visage poupin et ses épais sourcils noirs lui donnent de faux airs de labrador qui ne doivent pas tromper : intellectuel­lement supérieur à l’entourage médiocre qui gravite autour de Mohammed VI, cet homme aime la discrétion. C’est un homme impitoyable, dit-on, et il entend se faire une place au soleil de la monarchie. Il aligne un début de carrière irré­prochable : École polytechnique et Mines en France, poste d’ingénieur chez Schlumberger, retour au pays en 1992, et
1. Entretien avec les auteurs, Rabat, septembre 2011.68 Le Roi prédateur
des fonctions dans la banque BMCE où il s’est fait repérer par un proche de Mounir Majidi. L’homme le présente très vite au secrétaire particulier du roi en quête de « jeunes et brillants managers à la fibre patriotique ».
En 2001, personne ne soupçonne le rôle prépondérant qu’Hassan Bouhemou va jouer dans la vaste entreprise de prédation de Mohammed VI. Très vite, il forme une alliance stratégique avec Majidi, qu’il ne lâchera plus, lui servant d’émi­nence grise.
Pour l’heure, le duo Majidi-Bouhemou est confronté à un problème nommé Driss Jettou. Ils préparent dans l’ombre la première étape de la vaste entreprise de mise en coupe réglée du pays, qui passe, selon eux, par l’émergence de champions nationaux. Une stratégie qui se situe à l’exact opposé de celle prônée par Driss Jettou.
Au Palais, la doctrine dominante affirme qu’un champion national doit être un leader dans son domaine, faire office de locomotive pour les autres entreprises et servir de levier pour tirer un secteur vers l’excellence. Avec quelques années de recul, on s’aperçoit que le « champion national » est, de fait, une entreprise dont le roi est actionnaire et qui n’accepte d’évoluer que dans un contexte de monopole ou, à la rigueur, de quasi-monopole… Aucune concurrence sérieuse n’est tolérée, et tous les moyens sont mis en oeuvre pour parvenir à ces fins, y compris le recours à une justice peu réputée pour son indépendance.
Pour convaincre Mohammed VI de se rallier à cette théorie des « champions nationaux », qui n’est pas encore entrée dans sa phase d’application, le duo infernal n’hésite pas à expliquer
1. Aïssa Amourag, MarocHebdo international, 11 février 2005.69 La Cour devient une base - cour
au roi que ses entreprises permettront de créer de nombreux emplois.
La crise de jalousie d’El Himma 
Sur le plan politique, un domaine sur lequel les deux hommes n’ont pas prise, la situation se dégrade. Au printemps 2002, le gouvernement socialiste, mené par Abderrahmane Yous­soufi, s’épuise dans la désillusion générale. Des élections légis­latives ont lieu en septembre mais, contrairement à l’usage, Mohammed VI ne choisit pas son Premier ministre dans l’une des deux grandes formations politiques que sont l’Istiqlal (conservateur) et l’USFP (Union socialiste des forces popu­laires). Il jette à la dernière minute son dévolu sur son ancien grand argentier, Driss Jettou.
Cette nomination en surprend plus d’un – l’homme n’est encarté dans aucun parti –, mais est néanmoins perçue comme un geste d’ouverture et de dialogue. Homme de contacts et courtisan formé à toutes les subtilités du Makhzen, Driss Jettou a été assez habile pour placer ses réseaux à la disposition de Mohammed VI et cultiver son profil d’éternel soumis. Il faut dire que les réseaux en question comptent de nombreuses rami­fications. C’est ainsi que Jettou s’entend fort bien avec les prin­cipaux généraux de l’armée marocaine, qui forment l’ossature du régime. Il jouit en outre du soutien des milieux d’affaires, et les patrons voient en lui un des leurs, mais aussi le repré­sentant des Berbères. Consensuel à souhait, Driss Jettou est en quelque sorte l’homme pivot de la monarchie. Il sait mieux que quiconque que, pour évoluer et durer au sein de ce système, il ne faut afficher ni ego ni personnalité trop marquée.
Son succès commence bientôt à irriter Fouad Ali El Himma, 70 Le Roi prédateur
qui use et abuse de sa proximité avec le souverain pour tirer les ficelles de la vie politique du royaume. Chaque fois qu’il sent un rival pointer, El Himma nourrit une violente jalousie à son égard. Et il en veut à Jettou d’avoir organisé avec succès les législatives de 2002 lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, puis d’avoir instauré une dynamique de travail qui l’a éclipsé, lui, le vieux copain du souverain. Alors si en plus, maintenant, Driss Jettou devient le chouchou du patronat et des chancel­leries étrangères…
El Himma livrera une guerre sans merci au Premier ministre nommé par Mohammed VI. Jettou tiendra pourtant jusqu’en 2007, date à laquelle il sera démis de ses fonctions. Mais à quel prix !
Pendant toutes ces années au pouvoir, Jettou aura été soumis au travail de sape d’El Himma. Un témoin qui a côtoyé le conseiller royal pendant ces années se rappelle la violence de ses propos : « Jettou est un grand salaud qui fait croire que toutes les initiatives du roi viennent de lui », aurait-il dit un jour. Avant qu’il soit écarté de son poste, ses adversaires, El Himma en tête, mais aussi Mounir Majidi et Hassan Bouhemou, auront obtenu une première victoire contre lui : Mohammed VI n’adressait plus la parole à son Premier ministre. Il avait pratiquement cessé de le recevoir…
Certaines affaires, dont certaines sont fondées et d’autres non, fleurissent alors dans les médias. Ainsi, en 2006, il est « révélé » que le Premier ministre aurait pesé de tout son poids pour défendre les anciens dirigeants de l’Office chérifien des phosphates (OCP), mis à pied par la nouvelle direction qui aurait découvert une épouvantable gabegie financière.
1. Paul Héauduc« Les gros sabots de Driss Jettou », Bakchich, 27 juin 2007.71 La Cour devient une base - cour
D’autres affaires moins crédibles ont trait à des terrains mal acquis, qui seraient autant de cadeaux royaux ou dispensés par certains politiques.
Le terrorisme fait irruption 
Un événement majeur dans l’histoire récente du Maroc va temporairement mettre un terme aux affrontements au sein du Makhzen. Le 16 mai 2003, cinq cellules de kamikazes se font sauter à Casablanca, la capitale économique du royaume, tuant quarante-cinq personnes (dont douze terroristes) et en blessant une centaine d’autres.
Les jihadistes ont sommairement ciblé des lieux qu’ils associent à la « débauche », au « sionisme », ou tout simplement aux « étrangers » : une place de la médina, l’hôtel Farah, La Casa de España, le club de l’Alliance israélite et le restaurant Positano.
Les responsables de la Sécurité, et en premier lieu le général Hamidou Laanigri, qui dirige la DST, ont vite fait de pointer du doigt la nébuleuse terroriste d’Al-Qaida et un Oussama Ben Laden encore auréolé par les attentats du 11 septembre 2001. Pourtant, tous les kamikazes sont marocains et issus d’un même bidonville fait de baraquements en tôle et de ruelles boueuses, celui de Sidi Moumen. Là s’entassent des familles venues des campagnes, dont la jeunesse n’arrive pas à trouver sa place dans le tissu urbain. Les salafistes et les prêcheurs de haine trouvent en ces lieux des oreilles attentives.
Les images insoutenables des blessés et des cadavres cho­quent profondément l’opinion publique marocaine. Le royaume vient de basculer dans l’ère du terrorisme islamiste, dont il avait été préservé jusqu’alors. En apparence seulement. Comme le 72 Le Roi prédateur
note le journaliste Ahmed Reda Benchemsi dans un excellent texte 1publié après les attentats de Casablanca, les mois pré­cédant ces attaques suicide, le Maroc avait connu plusieurs alertes terroristes de premier ordre.
D’abord sous la forme d’actes criminels isolés, comme ce 23 mars 2002, quand un ivrogne avait été lapidé à mort en pleine rue par une « cellule » dirigée par un prédicateur qui jouait aussi aux émirs. Plus grave, près de deux mois plus tard, une cellule dormante d’Al-Qaida, où avaient été identifiés trois Saoudiens, avait été démantelée. Elle projetait notamment de faire sauter un navire américain croisant dans le détroit de Gibraltar. Enfin, en mars 2003, un attentat avait été déjoué au complexe cinématographique Mégarama, à Casablanca. Le carnage avait été évité de justesse.
Terrorisme d’origine étrangère, terrorisme local, le Maroc est à la croisée des chemins, et cela depuis longtemps, même si la dolce vita dans laquelle s’installe le roi incite à l’oubli et à la torpeur. Et pourtant ! Les services de sécurité n’ignorent pas que, dans les années 1980, pas moins de soixante-dix Maro­cains ont pris le chemin de l’Afghanistan pour combattre les Russes aux côtés des moudjahidin afghans. Puis, au tout début des années 2000, le Groupe islamique combattant marocain, plus connu sous le sigle GICM, voit le jour en Afghanistan, avec la création d’un camp d’entraînement pour les jihadistes en provenance du royaume.
1. Ahmed Réda Benchemsi, « Comment nous en sommes arrivés là »,TelQuel, nº 176.73 La Cour devient une base - cour
« Ils nous poussent à revenir à l’époque d’Oufkir » 
Le désordre et la confusion qui règnent alors au Maroc travaillent en faveur de Fouad Ali El Himma, qui, malgré ses compétences limitées en matière de lutte contre le terrorisme, intrigue en coulisses pour s’immiscer dans ce dossier.
Une source des services secrets français de la DGSE, qui espionne l’ami du roi, se fend d’une note ô combien instructive à son officier traitant. On y apprend que, pour El Himma, « ces attaques ont entaché l’image de l’“exception marocaine” en matière de sécurité, et que Sa Majesté ne peut que prendre les mesures adéquates dans les prochaines semaines ».
El Himma tient davantage, on l’aura compris, du faucon que de la colombe et, au sujet des grandes figures de l’islamisme marocain, il se laisse même aller à quelques menaces : « Nous passerons à l’acte et à la logique de l’oeil pour l’oeil. Ils nous poussent à revenir à l’époque d’Oufkir. » Sous-entendu : à la liquidation pure et simple des islamistes. Déchaîné, le ministre délégué à l’Intérieur s’en prend aussi à ceux qu’il juge respon­sables de la propagation d’une idéologie violente. Il pointe ainsi que « le financement des groupes, grands comme petits, provient des pays du Golfe en premier lieu, de la contrebande à travers l’Espagne et de l’argent de la drogue ». Pour ce qui concerne les financements arabes, El Himma vise en priorité les associations saoudiennes qui, selon lui, « agissent proba­blement avec le consentement d’une partie des services ». Quoi qu’il en soit, les fiches de renseignements de la DGSE révèlent que, après les attaques du 16 mai 2003, l’ami du roi pèse lourd dans la galaxie des « sécuritaires » qui gravitent autour du sou­verain. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour les généraux 74 Le Roi prédateur
et autres Hamidou Laanigri, patron de la DST, fort jaloux de leurs prérogatives.
En 2002 déjà, Driss Basri, l’ancien ministre de l’Intérieur d’Hassan II qui se languissait en exil à Paris, prédisait à des agents de la DGSE venus le confesser à domicile que « le roi ferait le ménage prochainement au niveau des principales institutions du royaume, notamment l’armée et les services de sécurité ». Mais « il le ferait par étapes, sans bousculades ». Tout retraité qu’il était, Basri ne s’était pas trompé, à ceci près que Mohammed VI n’ouvrirait les hostilités contre les plus hauts gradés qu’en février 2005.
La première « victime » de la purge sera le général Harchi, spécialiste de l’islamisme radical, qui est renvoyé de la DGED (renseignement extérieur marocain) au profit d’un civil, Yassine Mansouri, dont le principal mérite est d’avoir étudié au Collège royal avec Mohammed VI.
Trois mois plus tard, en mai 2005, le général Arroub, qui jouit d’une réputation d’homme intègre et dirige le 3Bureau de l’armée, est déstabilisé par la controverse liée à l’ouverture en grande pompe d’un musée à la gloire du maréchal Méziane, un fervent supporter du caudillo espagnol Franco. Puis, en juillet 2006, c’est au tour du général Belbachir, qui dirige le renseignement militaire, d’être mis en retraite d’office à la suite d’une étrange affaire liée à un groupe terroriste nommé Ansar al-Mahdi.
Enfin, en septembre 2006, le Palais fait un sort au général Hamidou Laanigri, qui avait déjà dû quitter la DST après les attentats de Casablanca de 2003 et qui occupait depuis lors
1. « Mohammed VI poursuit son ménage militaire », Bakchich, 6 mars 2007.La Cour devient une base - cour
le poste de directeur de la Sûreté nationale. Il est promu ins­pecteur général des forces auxiliaires, autrement dit des cordons de sécurité déployés lors des manifestations… Les confessions d’un baron de la drogue ayant mouillé l’un de ses proches, qui occupait le poste stratégique de chef de la sécurité des palais royaux, auront été utilisées pour le faire destituer.
Fin 2006, lorsque la reconquête du pouvoir sécuritaire par Mohammed VI et Fouad Ali El Himma est achevée, il ne subsiste plus qu’un survivant de l’ancien système : le général Hosni Benslimane. Plus puissant que les autres, il dirige tou­jours la gendarmerie royale, qui assure la sécurité du monarque lorsqu’il se déplace…77 

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